La presse a fait état de l’annulation par le tribunal administratif de « deux arrêtés réglementant l’irrigation sur les bassins du Marais poitevin et de la Charente » : Quel est le contexte ? Que penser de ces décisions du tribunal administratif ? Quel impact sur le protocole « Pour une agriculture durable … » dans le bassin de la Sèvre niortaise et du Mignon ?
Le cœur du sujet : les volumes autorisés pour l’irrigation et leur mode de gestion
Deux points clés à retenir :
- Dans nos régions où la surexploitation estivale de la ressource en eau est reconnue , l’engagement dans une démarche d’évaluation du déficit constaté est le préalable à la délivrance des autorisations de prélèvement, qui doivent être compatibles avec l’objectif de restauration de l’équilibre.
- Les volumes maximum autorisés pour l’irrigation sont déterminés après étude par la commission locale de l’eau, puis fixés par arrêté préfectoral. Les autorisations de prélèvement ne sont plus individuelles mais collectives : elles sont délivrées au sein du périmètre attribué à un « organisme unique de gestion collective » (OUGC), lequel doit obtenir de l’État une « autorisation unique de prélèvement » (AUP). Il revient ensuite à l’OUGC d’élaborer chaque année son plan de répartition entre usagers des volumes qui lui sont attribués, puis de faire homologuer ce plan par le ou les préfets territorialement concernés.
Qu’apporte ce système d’autorisation unique (AUP) ?
- Le plus : la gestion collective est une avancée notable, revendiquée par notre mouvement associatif. En guise de preuve de ce progrès, notons que malgré son inscription dès 2006 dans la loi sur l’eau et les milieux aquatiques, elle ne s’est mise en place que très tard (2013 en Poitou-Charentes), retardée par le lobbying APCA/FNSEA.
- Des progrès attendus : la gouvernance au sein des OUGC doit être mieux équilibrée en faveur des représentants des usages dits « non-économiques », à l’instar de ce que la loi prévoit pour les autres structures de gestion de l’eau : commissions locales de l’eau, comités de bassin). Leur périmètre devrait systématiquement respecter la logique de bassin hydrographique.
- Le moins : L’objectif de retour à une gestion équilibrée de la ressource n’est pas respecté si les volumes de référence qui servent à dimensionner les prélèvements maximum autorisés sont surdimensionnés.
Ces situations de surdimensionnement ont été dénoncées très tôt et avec constance par la Coordination pour la défense du Marais poitevin. C’est un des éléments majeurs qui a motivé notre avis défavorable sur l’AUP du bassin du Marais poitevin dans les Commissions locales de l’eau, au conseil d’administration de l’Établissement Public pour la gestion de l’eau et de la biodiversité du Marais poitevin (EPMP), et lors de l’enquête publique.
L’anomalie que représente ce surdimensionnement a été relevée par la « mission Bisch », sachant que d’une façon ou d’une autre, c’est la marque de tous les projets picto-charentais.
C’est cet argument, quantifié, qui a été repris dans le recours contentieux de Nature Environnement 17 contre les AUP et qui explique, pour l’essentiel, leur annulation par le tribunal administratif de Poitiers.
Qu’en est-il du projet de réserves de substitution du bassin Sèvre niortaise et Mignon ?
Le constat de surdimensionnement a été également relevé par la mission spécifique sur le secteur « Sèvre-Mignon ». Celle-ci a proposé une réduction significative de ces volumes, ce qui a été pris en compte dans les discussions qui ont abouti au « protocole ». C’est une singularité qui, parmi ses autres caractéristiques, différencie aujourd’hui ce projet de tous les autres, et c’est l’une des raisons (pas la seule) qui ont motivé nos associations à accompagner, en toute vigilance, ce protocole.
Objectivement, ce protocole ne devrait pas être remis en cause car, précisément, il anticipe l’analyse à laquelle s’est livrée le tribunal, en se basant sur un volume de référence significativement réduit.
La décision du tribunal administratif concernant l’AUP ne remet évidemment pas en cause la démarche engagée qui initie l’éco-conditionnalité de l’accès à l’eau.
Il reste cependant à apprécier si la réduction des volumes d’environ 20% intégrée dans le protocole est conforme à la préconisation du tribunal : « les prélèvements autorisés seront plafonnés … à hauteur de la moyenne des prélèvements annuels effectivement réalisés sur chaque point de prélèvement. Cette moyenne sera calculée sur les dix campagnes précédentes … ». Un éventuel énième débat d’experts en perspective.
Que penser de la décision du Tribunal administratif ?
- Une satisfaction : notre analyse de la question des volumes est validée puisque qu’après avoir été intégrée dans les constats de la « mission Bisch », elle a été reprise comme un point fort de la décision du tribunal. Elle crée ainsi une jurisprudence qui s’appliquerait sur tous les projets surdimensionnés. On pense par exemple, en plus du projet charentais, aux projets sur le bassin versant du Clain dans le département de la Vienne.
- Une vigilance : la forme du communiqué du tribunal administratif de Poitiers, ayant inspiré des articles de presse, peut porter à amalgamer à tort les deux dossiers. Or, l’AUP du Marais poitevin est tout à fait atypique (voir ci-dessous).
Le cas particulier du bassin versant du Marais poitevin
- Un plus, l’EPMP : ce territoire se trouve dans une configuration originale où la fonction « d’organisme unique » a été confiée par la loi à l’Établissement Public pour la gestion de l’eau et de la biodiversité du Marais poitevin (EPMP), présentant la double particularité d’associer dans ses missions les deux sujets eau et biodiversité, et de voir les associations de protection de la nature siéger en son conseil d’administration. Établissement public de l’État, cet organisme est unique en France. Sa création par la loi découle de la complexité de ce territoire, des jeux d’acteurs conflictuels qui s’y déploient, et de son histoire récente marquée par un contentieux ayant conduit à la condamnation de la France par la Cour de justice européenne.
- Une AUP d’une durée moindre : en plus de la configuration particulière de l’organisme unique de gestion collective décrit ci-dessus, la durée de l’AUP est de 15 ans en Charente, contre 6 ans pour le Marais poitevin. Signée en juillet 2016, l’AUP du Marais poitevin devait être renouvelée le 31 décembre 2022 et un point d’étape devait être livré au 31 décembre 2019. En annulant l’AUP au 1er avril 2021, le tribunal accélère un processus qui était déjà enclenché sur ce territoire. Ce qui n’est pas le cas ailleurs.
- Une fragilité : cet établissement public (EPMP) a des missions très multiples, couvrant un très vaste territoire, mais peu de moyens. De plus, il est en réalité attaqué de toutes parts car il perturbe l’organisation traditionnelle conçue par périmètre administratif, notamment départemental.
Un constat : la décision du tribunal administratif de Poitiers intervient alors qu’une démarche de réévaluation des volumes dits « prélevables » est engagée sur l’ensemble du bassin versant du Marais poitevin dans le cadre de la révision des SAGE. C’est ce qu’évoquait l’une des conclusions du communiqué de la Coordination pour la défense du Marais poitevin du 31 mars 2019 : « Si la décision de justice à venir pouvait accélérer le processus et convaincre les décideurs les plus hésitants, nous ne pourrions que nous en féliciter ».